Par Pascal GEIGER, Paris "Les retraites : un débat biaisé"
Plus on parle des retraites et moins le sujet devient compréhensible.
Entre le crédo péremptoire de ceux qui veulent un système universel des retraites budgétairement équilibré et celui de ceux qui veulent que rien ne change, en passant par la soumission des fatalistes qui acceptent que, puisque la durée de vie augmente, il est normal de travailler plus longtemps, sans nous expliquer, pour autant, l'origine divine de cette affirmation.
Bref, chacun va de ses certitudes pour bricoler au mieux de leurs intérêts les fameuses mesures paramétriques qui sont censées pérenniser un système de retraite par répartition et dont le principe repose sur la solidarité intergénérationnelle, à savoir les actifs d'aujourd'hui financent les pensions des retraités d'aujourd'hui.
Heureusement, personne n'évoque, pour l'heure, le changement du système de répartition par un système de capitalisation. Cela dit, il y aura toujours un ayatollah néolibéral qui se lèvera pour vanter les mérites d'un tel modèle.
Une faillite annoncée.
Malheureusement, le système par répartition coince. Les cotisations des uns ne suffisent plus à payer les pensions des autres.
Les 42 régimes spéciaux ajoutés au régime général des retraites génèrent un déficit de quelque 14 Mrds d'€, déficit qui ne cessera de croître selon le Conseil d'Orientation des Retraites qui prévoit un ratio de 1,2 actif cotisant pour 1 retraité en 2050 (contre 4 pour 1 en 1960).
De plus, le COR souligne que, si le système ne change pas, une retraite sur six ne sera pas financée en 2030.
Pour l'heure, ce déficit de 14 Mrds d'€ est naturellement comblé par les impôts des contribuables.
Pour régler cette quasi-faillite annoncée, la seule solution trouvée par les gouvernements successifs depuis le gouvernement de Rocard a été d'opposer les Actifs aux Retraités en focalisant leur réflexion sur des mesures paramétriques ; c'est-à-dire « jouer » sur le report de l'âge de départ à la retraite ou, dit de manière plus soft, prolonger de la durée de cotisation ; augmenter le taux de cotisation, voire baisser la valeur du point, ...
Il n'y a pas de doute que les technocrates de quelqu'obédience qu'ils soient sauront trouver des mécanismes techniques abracadabrantesques devant à court terme répondre aux attentes des uns sans amplifier les frustrations des autres ... tout en laissant le système courir à sa perte.
L'agonie sera houleuse et l'addition salée pour les générations futures.
Étonnamment, personne ne pose le caractère malhonnête de ces mesures paramétriques. Elles contribuent, pourtant, à affirmer que les salariés comme les retraités sont responsables de la diminution du volume (quantitativement et financièrement) des cotisations.
C'est pourquoi, il parait utile et nécessaire de revenir sur ce concept de RETRAITE.
Qu'est-ce qu'une retraite et comment se réalise-t-elle ?
Lorsque vous êtes actif, vous acceptez durant votre période d'activité de vous priver d'une partie de votre salaire immédiat en le versant, sous forme de cotisation, à un organisme ad hoc avec la certitude, c'est le fondement du contrat qui vous lie à cet organisme, que celui-ci vous le reversera lorsque vous cesserez votre activité.
La retraite s'apparente donc à ce que l'on appelle en économie : un salaire différé, elle représente également une dette de cet organisme ad hoc envers le retraité.
Cet organisme pour honorer sa dette puise dans le flux financier annuel généré par les actifs cotisants, c'est le principe même de cette solidarité intergénérationnelle.
Mais que l'on rende responsable les salariés de la baisse du volume des cotisations pour revoir les conditions générales d'élaboration de leurs futures retraites revient à s'attaquer aux symptômes de la baisse de ce volume sans s'attaquer à sa cause réelle.
Qu'elles sont les raisons de cette baisse du flux des cotisations retraites ?
Elles sont a minima de deux ordres ; des salaires trop bas et un volume en baisse d'emplois, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, (plans sociaux, transfert vers l'auto-entreprenariat, chômage, petits boulots, stages, ...).
Pour la doxa néolibérale, les salariés ont toujours été une variable d'ajustement. Pour que l'entreprise puisse se développer, il faut impérativement baisser les charges sociales et les charges fiscales.
Tous les gouvernements, depuis 1983, se sont convertis aux principes économiques véhiculés par cette doxa.
En 2018, les entreprises ont bénéficié de quelque 20 Mrds d'€ au titre du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi), cadeau fiscal dont on ne mesure, aujourd'hui, qu'un très faible impact sur la création d'emploi et une absence remarquée d'augmentation des salaires.
En janvier 2019, ce crédit d'impôt (CICE) a été transformé en un allègement de cotisations sociales pérennes et à effet immédiat. Le montant de cet allègement fiscal atteindra vraisemblablement, selon Bercy, 40 Mrds d'€ par an.
Depuis 2010, les dividendes des entreprises du CAC 40 augmentent de quelque 9% par an. Ils représentent en 2019 plus de 51 Mrds de $ ( 40 Mrds d'€). Cette ponction annuelle est l'équivalent du financement, pendant 41 ans, de quelque 35 000 emplois payés au SMIC chargés. Il convient de rappeler que la moitié de ces dividendes quitte le territoire national pour rémunérer les actionnaires étrangers.
Une augmentation des dividendes ne signifie pas, pour autant, une augmentation de l'investissement capitalistique des entreprises. Selon l'INSEE, leur courbe est, depuis plus de 20 ans, étale.
Comment une entreprise pourrait-elle s'équiper de biens de production à moindre coût lorsque les bénéfices net après impôt qu'elle génère sont redistribués à 67% sous forme de dividendes (et moins de 6% aux salariés sous forme de formules d'intéressement).
Enfin, pour conclure, il n'est pas inutile de souligner que la fraude et l'optimisation fiscale coûtent, chaque année au budget de l'État, quelque 80 à 100 Mrds.
Toute réflexion faite, il est sans doute préférable et plus facile de combler le déficit des régimes de retraite par des mesures techniques que de s'attaquer politiquement à la racine du mal.
Racine du mal qui trouve son origine dans la genèse de l'humanité. Il suffit de se rappeler la parabole des Talents (Cf. évangile selon Matthieu, chapitre 25, versets 14 à 30) :
... « À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l'abondance ; mais celui qui n'a rien se verra enlever même ce qu'il a. Il sera jeté dans les ténèbres extérieures. Il y aura des pleurs et des grincements de dents ! ... ».
Il est temps de repenser autrement notre république.